Un «notre» monde est possible

C’est toujours la même chose. Y’a un point de départ, un point d’arrivée. Du monde à perte de vue, des têtes inconnues. Des sons, des odeurs. Des lumières et des quais. On avance droit. On manœuvre. On se décide à prendre l’un ou l’autre chemin. On suit parfois, on remonte le courant souvent. Les foules se meuvent, on observe. La masse s’arrête, on s’obstine. Partout, des embrassades. Ça se retrouve ou ça se quitte. Ça se regarde dans les yeux. Qu’il s’agisse d’un bonjour ou d’un adieu, on s’étreint toujours avec la même intensité. Les mètres défilent sous les lumières crues des néons. Des espaces publicitaires géants nous intiment de faire ou de ne pas faire ou de faire moins, c’est selon. Les contrordres des écrans lumineux sont à peine perturbés par le rythme heurté des talons portés haut.

Le train, le rail. Cette impression chavirante, au bout, tout est possible. Un ailleurs, une vie qui nous chatouille. Le titillement léger d’un changement de cap. Un revirement, une révolte. Quai suivant, le changement. Tout foutre en l’air. Une obsession. On tressaille. Un billet de train contre nous, un billet de train pour nous et, vraiment, on change tout. La vie des autres, la notre. Le chemin crée l’aventure. « Prenez au fond à droite et vous parviendrez à destination » vous glisse la voix. Et paf, vous tournez, coup de barre à gauche. Caler l’arrivée – décaler l’arrivée. Imaginer qu’au bout du chemin mille fois emprunté, on dessine notre monde. On bazarde celui-ci et on se la crée notre planète B. Qu’on se délivre ou qu’on fuit, qu’on désire ou qu’on prie, chacun a sa raison.

C’est toujours la même chose. Y’a un point de départ et un point d’arrivée. Les chemins qu’on connaît et les chemins qu’on prend. Les destinations qui rassurent et celles qui maturent. Au milieu, des visages. Au milieu, le voyage. Le temps qui nous prend. Le temps qui nous interdit. Le temps qui déroule, la petite musique malicieuse qui joue un air de déjà entendu. Au milieu de la foule, j’aperçois l’écran qui m’abandonne à cette idée : où irais-je si je ne savais déjà où aller ?